Non je ne suis pas mort, en tout cas pas encore, du moins pas encore une fois.
J’ai fui tout simplement. Lorsque l’infirmière m’a demandé si j’étais bien Benjamin Gallais, j’ai paniqué, j’ai tout de suite pensé que l’on me cherchais à nouveau, que l’on avait lancé sur moi une sorte d’avis de recherche.
Mais après avoir discuté avec elle j’ai appris qu’elle me connaissait via Ephemera, qu’elle savait qu’il y avait un écrivain au sein de cet hôpital, qui l’était devenu plus ou moins vagabond et mon «laisser aller» de ces dernières semaines n’a fait qu’amplifier la rumeur.
Je lui ai demandé combien de personnes étaient au courant de mon existence, elle m’a répondu qu’ils étaient une petite dizaine, que certains internes pariaient même sur moi, sur qui j’étais vraiment, où je me trouvais et combien de temps je resterai incognito.
Une fois la nouvelle digérée, je lui ai demandé de rester très discrète, que si elle voulait continuer à lire Ephemera il fallait que mon anonymat reste entier. Elle m’a rassuré en me disant calmement de rester ici autant que je le voulais et qu’elle va même me rapporter un plateau repas.
Passé 10 minutes, elle revient avec son plateau et quatre autres personnes, deux hommes et deux femmes qui me font de grands sourires et qui avancent vers moi d’un pas pressant et appuyé.
Je me lève et devant l’arrivée de cette meute amicale, je fais instinctivement trois pas en arrière, ils sont de plus en plus proches et j’ai de plus en plus peur. L’un des garçons me tend la main et je sens mes entrailles se fondre, mes pas se font plus pressants et pour ne pas tomber je me retourne complètement. Je suis dos à eux et je me mets maintenant à courir, cela me demande un effort considérable, je ne m’imaginais pas aussi faible. Je défonce les portes qui sont devant moi et j’entends dans ma course des bribes de mots : « Monsieur Gallais, attendez ! Monsieur Gallais, il faut que… ». Le fracas des portes battantes rend la suite inaudible, je cours comme un damné changeant de direction chaque fois que l’occasion s’en présente, à droite puis à gauche puis encore à droite, au détour d’un angle je heurte un malade qui s’écroule sous mon passage, quelqu’un m’insulte, je descends un escalier, traverse un couloir, je ne reconnais pas l’endroit, je continue à courir, il y a de moins en moins de monde et les néons au plafond marchent une fois sur trois, certains pendent carrément, j’évite de justesse l’un d’entre eux et mon élan se termine sur une porte que je défonce avec mon épaule. Je la referme précipitamment derrière moi. Je reprends alors mon souffle, mon sang frémis, j’ai une douleur au ventre, puis le spasme disparaît, laissant une douleur sourde. Après quelques secondes, je me laisse enfin tomber par terre.
Assis dos à la porte, je retrouve mon calme, je prends conscience de l’endroit où je me trouve et je sais instinctivement qu’ici mon histoire va prendre un nouveau tournant.
Journée ordinaire aujourd’hui, il pleut dehors et l’hôpital est étrangement dépeuplé, il y a seulement une infirmière qui fait des va-et-vient devant moi.
Cela va faire un moment maintenant que je peine à écrire le chapitre treize, des idées j’en ai, les rendre intéressantes est une tout autre affaire.
Je mets cette asthénie soudaine sur le compte de mon patron, ami et imprésario qui m’inflige désormais une pression quasi quotidienne.
J’ai recommencé déjà 4 fois le même chapitre le trouvant tour à tour, trop similaire à d’autres, parfois pas assez intense, souvent carrément mauvais.
En proie au doute, je fais comme tout le monde face à l’angoisse, je ne bouge plus. Pour preuve cela fait 6 jours que je suis dans la même salle, je sens mauvais et les regards se font de plus en plus insistants.
Surtout celle de cette infirmière. A force de croisement, son regard appelle le mien et a y réfléchir j’ai déjà aperçu cette femme.
Cette interrogation annihile complètement mon esprit. Ou ai-je bien pu la voir auparavant? Je fais la rétrospective des infirmières qui se sont occupées de moi à mon arrivée, rien à faire, je ne me souviens plus que du visage de Nathalie.
Mes yeux vont désormais nulle part, je ne pense qu’a elle, où est elle? Que devient elle? Je me souviens l’importance qu’elle a jouée dans mon histoire. Beaucoup de questions parasitent mes pensées quand soudainement l’infirmière présente me ramène brusquement à la réalité : « Excusez-moi de vous déranger mais c’est bien vous Benjamin Gallais l’écrivain? »
– Oui ?
– Allô Benjamin ?
– C’est qui ?
– Comment ça c’est qui ? Tu te fous de moi ! Qui veux-tu que ce soit? C’est la seule personne qui te supporte encore, qui gère tout à l’extérieur, je suis ton unique lien avec la vie réelle mon p’tit pote !
– Ah, vous me tutoyez maintenant ?
– Bah ouais, je sais plus bien comment on doit s’adresser à un fantôme ?
– Je vous demande pardon ?
– Mais bordel t’es où ? Ça commence à bien faire cette histoire, tu te rends compte que je publie le récit d’un mec dont je sais même pas ou il est ? Plus tu écris plus je suis assailli de questions !
« C’est qui Benjamin Gallais ? Il existe vraiment Benjamin Gallais ? Il est où Benjamin Gallais ? »
– Tu leur réponds quoi ?
– Et puis c’est quoi ce nom Benjamin Gallais ? Où es-tu allé me pêcher un nom pareil ?
– Tu leur dis quoi sur moi ?
– Que veux-tu que je leur dise ? Ah bien Benjamin il se cache dans les couloirs d’un hôpital, ne me demandez pas lequel hein ! Il joue à l’artiste maudit, il ne veut plus sortir de là, de peur de prendre en pleine tronche sa subite et énigmatique notoriété.
– C’est faux je n’ai pas peur des gens au contraire, c’est pour mieux les connaître que je reste ici, j’ai juste… un peu peur de moi à l’extérieur de ces murs.
– Ouais en bref t’as la trouille !
– Je suis bien ici, tout m’inspire, les bruits, l’odeur, l’endroit. C’est la première fois de ma vie dont chaque matin est rempli de possibilités réelles. Tout n’est qu’imprévu. De plus c’est cette expérience de mort imminente qui m’as donné cette idée et… Enfin je ne sais pas… J’ai comme une intuition que je dois rester ici, j’ai eu trop d’années de pages blanches et j’ai l’impression que le blanc qui domine ces murs pallie à la noirceur de mon imagination.
– J’ai rien compris.
– C’est normal.
– Mais pourquoi tu ne rentres pas le soir au moins ? Et tu y retourne le lendemain.
– J’y ai pensé mais le fait de me mettre en difficulté me force à me concentrer sur l’essentiel. Et puis c’est un bon compromis vous ne trouvez pas ? J’écris de l’intérieur et vous diffusez ma parole à l’extérieur.
– Attention tu frises la mégalomanie la !
– Je peux vous tutoyer à mon tour ?
– Oui vas-y.
– Fais-moi confiance.
Ce matin je suis bien, je me suis rendu compte que lorsque mon humeur était au positif j’écrivais beaucoup moins, en revanche je nourrissais mes écrits.
Je dois vous confesser que certaines personnes dans ce C.H.U ont quelques fois inspirés mes personnages.
En cette fin de matinée par exemple je suis dans un espace d’attente pour passer un I.R.M, j’ai pris un ticket par pure convention, mais lorsque viendra mon tour je le laisserai passer.
La décoration de cette salle est simpliste au possible, il n’y a rien excepté un cadre avec un cygne à l’intérieur.
C »est sympa les salles d’attente on a bien le temps d’observer les gens :
A ma droite en train de lire un Paris Match avec en couve la mort de Lady Diana, se tient une femme qui ressemble étonnamment a Popeye, elle me voit et me jette un grand sourire et je peux aisément compter toutes ses dents.
A ma gauche il y a un sosie d’Omar Shariff, il a une main dans sa poche gauche est à en juger la tête qu’il fait on pourrait croire qu’il se gratte les parties génitales.
A côté de lui se tient une dame relativement âgée en train de japper quant au foutoir probable qui règne dans son sac à main, je tends l’oreille pour plus d’infos, mais elle éructe des syllabes incompréhensibles.
Je n’en saurai pas plus vu qu’en face de moi il y a un couple qui semble vouloir régler leurs problèmes conjugaux devant tout le monde. Elle, est assez jolie avec un nez en trompette, lui l’es beaucoup moins et son nez tient plus du cornet à piston.
Loin de cette cacophonie, dans le coin il y a un invertébré, un jeune qui fait vieux, un intelligent qui fait con, un paradoxe sur patte quoi! Il sent mon regard et me regarde à son tour et j’essaye de deviner ce qu’il pense de moi. Ce combat oculaire est interrompu par une femme de l’accueil qui, derrière son bureau, hurle le prénom de Daniella. Je ne sais pas si Daniella prend 2 « L » ,à entendre ce n’est pas évident. Quoi qu’il en soit, cette dernière n’est surement pas dans les environs à en juger la longévité de l’appel.
Bref j’aime bien observer les gens, je note quelques idées pour les chapitres à venir.
Les heures passent, ils s’en vont tous les uns après les autres, je reste seul dans cette salle mal décoré, je fais partie du tableau un peu comme un cygne noir.
Benjamin Gallais
Il fait nuit dans cet immense hôpital où je vis, il fait nuit et noir sont mes nuits blanches.
Je n’arrive pas à dormir, déjà d’une, parce que j’ai mal au cul sur ce fauteuil et que c’est très inconfortable pour dormir et de deux parce que ça fulmine dans mon esprit.
Il est scindé entre deux sphères.
La première est interne à mon épiderme, elle concerne Ephemera et toute la réflexion qui en déborde, je passe mes journées désormais avec mon portable collé à l’oreille, mon patron est devenu la partie immergée de l’iceberg qu’est Ephemera, il paraît qu’il vend mon histoire un peu partout, c’est curieux.
La deuxième concerne le monde extérieur dans lequel je vis toujours actuellement. Et je me rend compte que souvent, la 1ere sphère nourrit la 2ème et parfois l’inverse.
Par exemple il y a une heure j’étais d’humeur attristé, attristé de penser que des gens se nourrissent de mon histoire, qu’il en parle entre eux en me laissant seul ici dans cette salle d’attente du 6ème étage. Et pourtant en observant une famille ma tristesse c’est peu à peu estompé.
C’était une famille probablement d’origine Pakistanaise, tous dormaient avachis malencontreusement sur leur siège, la plus jeune dormait d’un sommeil lourd en tenant la main de sa mère qui elle-même avait étendu ses jambes sur les genoux de son mari qui lui-même avait posé sa tête sur l’épaule de son fils, ainsi tous les quatre étaient liés dans leur sommeil, face à face unis dans une douleur dont j’ignorais tout et dont je ne voulais rien retenir. Ce qui m’importait c’était cet amour, trop rare, trop peu visible, qui surgit bien trop souvent quand le cœur est atteint.
Cela m’a apaisé et en recalant mon sac derrière ma nuque je me suis dit que c’était réconfortant de savoir que des gens parlaient d’Ephemera.
Je suis dépourvu de nuances.
Benjamin Gallais